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Dans le cube

Je dois faire un rapport.

Un rapport sur quoi ? Sur cet échec ?

Et ça servirait à quoi ? A dire qu’on s’est planté en beauté ? Que je me suis fait baiser, et tant pis pour mon amour propre ?

Mon amour propre… Si on m’avait choisi pour cette mission, c’était clairement pas à cause de ça, mais parce que je m’adapte vite, je réagis, je comprends des trucs que les autres comprennent pas. Et je n’ai as eu besoin d’étude pour ça. Une fois y’en a même un qui m’a dit que j’aurais pu être un génie si j’avais fait des études.

Moi je m’en fous. J’aime l’action. C’est pour ça que j’ai passé les concours d’admission. Et tant pis si mon vocabulaire ou ma façon de parler leur plait pas. On m’a embauché pour obtenir des résultats, c’est tout.

Sauf que là, les résultats ils sont pas tip top… j’avoue.

Pourtant, pour le coup, on m’en avait flanqué un, de génie, sur le paletot, pour m’aider.

Ou alors c’était moi qui étais censé l’aider ?

C’est bien possible.

Toujours est-il que la mission était assez basique, retrouver un gars, un genre de scientifique, avant que d’autres ne le fassent. Un dénommé Antony Spratzyck, un scientifique un peu bizarre. D’origine polonaise, il a fait ses études supérieures à Paris, où il a rencontré pas mal de monde, s’est fait un réseau comme on dit. Sauf que c’était pas un réseau de scientifique, plutôt un réseau d’original, des gens qui ne voyaient pas les choses comme les autres. Il y avait bien quelques scientifiques dedans, mais plutôt de ceux qui faisaient de la recherche dans des domaines pas très bien côté, pas le genre industrie ou techno commerciale quoi… Plutôt genre l’influence de la musique sur la croissance des plantes, le rôle des phéromones dans la reproduction chez les marsupiaux, l’interprétation de réalité et les lois physiques… un peu prise de tête quoi.

Les autres membres de son réseau, c’était des artistes, des philosophes, des cas sociaux… On peut pas dire qu’il était sélectif le gars.

Il a commencé à perturber les vrais scientifiques il y a quelques années, lorsqu’il a sorti un truc que personne ne comprenait. Il avait établi toute une théorie physique sur un truc un peu à la mode chez certains artistes au sujet des représentations des dimensions au-delà de la troisième, les hypercubes et compagnie, genre Manfred Mohr vous voyez. Sauf que lui il a modélisé le truc et qu’il a construit son cocon, comme il l’a appelé. Une espèce de boite, à mi-chemin entre le sac de couchage en alu et un cercueil, avec une petite porte sur la face avant, juste assez grande pour laisser entrer un adulte en rampant. Et à l’intérieur, il a utilisé sa théorie pour exprimer les dimensions au-delà de la troisième. Il disait que modéliser ces dimensions dans l’espace physique permettait d’altérer celui-ci.

Perso, j’ai pris ça pour une grosse connerie, jusqu’à ce qu’on me fasse « visiter » le truc. Parce que c’est notre gouvernement qui a récupéré le cocon, en douce. Quand on me l’a montré, j’ai vraiment cru que c’était un cercueil pour allumé du ciboulot. Des bords avec pleins de facettes en alu un peu brillante, plus gros au début et tout fin vers l’arrière, là où on mettait les pieds, je me suis dit.

Ils ont d’abords faire rentrer Gigi dedans, Gigi c’est Jean-Jacques Darsoult, le génie qui faisait équipe avec moi, mais je préfère utiliser des surnoms, ça soude un groupe, ‘s’pas ? Donc, après que Gigi fut entré, ils m’ont demandé de le suivre. Le cocon, il était posé sur une grande table, il y avait de quoi mettre un mec dedans, sûr, mais deux ? Non, pas possible. Mais bon, on m’a dit d’y aller, j’y ai été, en rigolant. Enfin, en rigolant… au début seulement.

Au départ c’était comme un petit tunnel d’environ cinquante à soixante centimètres de long, et après, on a débouché dans une toute petite pièce, d’environ quatre mètres carré, sur deux mètres de haut. Moi je m’étais attendu à voir un truc avec des angles partout, comme sur les tableaux, mais non, c’était bien carré. De l’extérieur ça devait pas représenter plus d’un demi-mètre cube… sûr. De l’intérieur, ça a en faisait huit. J’ai regardé Gigi, il était autant sur le cul que moi.

Moi j’ai pas été chercher plus loin. J’ai vu, j’ai cru. Point.

Gigi, lui il est ressorti, il a mesuré le truc par tous les bouts, il est entré sorti dix fois. Et c’est vraiment à la fin qu’il s’est avoué vaincu.

Le problème, c’est que les scanners faits sur le cocon fonctionnaient pas, et que les scientifiques hésitaient à le découper en morceau, de peur de pas pouvoir reproduire le truc. On avait bien des plans, mais les équations dessus étaient incompréhensibles pour tout le monde, sauf Spratzyck bien sûr.

Moi le seul truc qui m’a étonné, c’est qu’à l’intérieur, c’était carré. Que le gars ait découvert des dimensions d’ordre supérieur et qu’il ait pu les exprimer physiquement et que ça débouche sur une dilatation de l’espace… ouais, pourquoi pas. Mais pourquoi carré ? D’après les notes de Spratzyck, c’était parce qu’il avait mis le doigt sur une exception des lois physiques concernant sa théorie globale, et que cette exception était la plus simple à réaliser. C’est d’ailleurs à partir d’elle qu’il a réussi à modéliser le reste. Et cette exception, débouchait donc sur un espace intérieur carré.

En même temps c’est assez pratique.

D’après les scientifiques qui avait visité son laboratoire il en avait construit une deuxième version plus grande, de forme extérieure différente, un peu plus haut et plus large, mais pas beaucoup plus long, et à l’intérieur, il aurait réussi à créer un espace de quatre mètres sur quatre mètres sur quatre mètres. Pour le coup, ç’aurait été plus sympa de faire un plafond à deux mètres de haut, ça aurait fait une plus grande surface au sol, genre ptit studio quoi... Quand j’ai dit ça, les consultants scientifiques m’ont regardé comme si j’étais un imbécile. Ils n’ont pas l’esprit pratique, faut croire…

L’histoire de Spratzyck s’est gâté pour nous, enfin pour la France je veux dire, dès le début. Les scientifiques français l’ont snobé royalement à ses débuts, mais un consortium chinois lui avait accordé une subvention et lui avait proposé de le financer intégralement s’il sortait des résultats probants, ce qui avait donc été le cas avec le cocon.

Ni une ni deux, dès que les scientifiques internationaux ont commencé à se pencher sur le cocon, les chinois ont monté un énorme laboratoire pour Spratzyck chez eux, et l’ont invité pour la suite des recherches. C’était les seuls à l’avoir aidé au départ, Spratzyck a accepté. C’est là-bas qu’il a monté son second modèle donc, celui de soixante quatre mètres cube.

Les chinois voulaient le garder au secret, mais lui refusait de bosser sans son réseau, les gars un peu étranges avec qui il échangeait des idées. Il en invitait souvent là-bas, le voyage était payé par le consortium. Ce qu’on a pu tirer de ces gars là quand on les a interrogés, c’était que Spratzick bossait sur un troisième modèle, complètement différent, qui sortait de la « singularité cubique », comme il l’avait appelé. Le dernier à être allé le voir là-bas, un sculpteur accroc à l’héro, était rentré dedans, il nous a dit que ça dépassait tout ce qu’on pouvait s’imaginer. Il n’a pas pu nous en dire plus, du moins c’était pas compréhensible. Les enquêteurs ont suspecté les chinois de lui avoir refilé de la came qui lui a démonté le cerveau avant de le renvoyer en France. C’est bien possible, c’est pas des tendres.

Un mois plus tard, un message est arrivé à notre gouvernement, par le biais de la valise diplomatique. Un DVD sur lequel Spratzyck avait gravé une vidéo, dans laquelle il disait vouloir rentrer en France, parce que les conditions de travail en Chine lui paraissait détériorées. Forcément, ça a fait très plaisir au gouvernement français, sauf que pour l’exfiltrer, ça allait se révéler coton. Non seulement les chinois sont pas des tendres, mais au niveau services secrets, ils nous ont bien rattrapés (voir dépassés, mais c’est mon avis perso).

Le problème, c’est que suite à notre intervention, Spratzyck a disparu, ainsi que l’équipe qu’on avait envoyé là-bas. Pour l’équipe, on sait ce qui lui est arrivé, elle s’est fait « terminer » par nos amis aux yeux bridés, mais pour le professeur gadget ?

De manière officielle, rien n’a filtré, mais officieusement, les chinois pensent qu’on a réussit notre coup, et que le groupe qu’ils ont dessoudé était une diversion. Sauf que nous, on savait que c’était pas une diversion, et que le Spratzyck était pas chez nous du tout.

Les services secrets français ont donc monté un groupe de surveillance pour retrouver sa trace, mais rien pendant deux ans, jusqu’à il y a environ trois mois. Spratzyck nous avait fait parvenir un message via le web, après avoir piraté un satellite. Il se trouvait en Russie et il voulait rentrer en France. Comme quoi la guerre froide est peut-être finie depuis longtemps, mais l’ex KGB continue à bosser correctement, et plutôt en douceur, parce que ces salopiaux n’avaient pas laissé de trace à Beijing.

 

Il a donc fallu montrer un groupe pour aller récupérer Spratzyck là-bas.

Qui c’est que nos huiles ont mis en tête de liste ? Je vous le fais pas dire : bibi et Gigi. Gigi, a chopé le rôle du physicien du groupe, c’était lui qui devait déterminer ce qu’on devait récupérer dans le matos si on n’arrivait pas à récupérer Spratzyck. On nous avait ajouté deux gros bras russophone aussi, que j’ai appelé Sharky et Charclot, et c’était une fille qui commandait l’équipe, elle s’appelait Eva, mais je l’ai appelé Pouhchka, je sais pas pourquoi, peut-être parce qu’elle m’avait mis son pouchka sous le nez lorsque j’avais fait une remarque sur le manque de féminité de sa démarche, ce qui était très dommage étant donné le beau petit cul qu’elle se paye.

Allez savoir pourquoi c’était pas à moi qu’on avait donné le commandement…

Mon rôle à moi ? Les solutions. Trouver des solutions, c’est mon truc. Je suis le roi de l’impro. Je m’adapte, je vois, j’analyse, je pige, je soluce. C’est comme ça. C’est mon domaine. J’suis balaise, on se refait pas.

Globalement, l’ambiance dans le groupe était bonne donc.

Aller en Russie, ça m’arrangeait plus qu’en Chine, parce que chez les ruskofs, la corruption nous permettait d’ouvrir beaucoup plus de portes que chez les bridés, cela dit sans volonté d’offenser nos partenaires financiers buveurs de Vodka, bien évidemment, pas plus que nos partenaires financiers bouffeurs de nouille non plus d’ailleurs. C’est autant des sacrés enculés de fils de putes d’un côté comme de l’autre, on doit bien leur reconnaître cette qualité.

La pénétration en territoire russe s’est passée sans difficulté. Avec une petite couverture de marchands d’armes en poche, du beurre… D’ailleurs Dassault pourra nous dire merci, on a réussit à vendre quelques-uns de ses bijoux en chemin, y’a pas de petits profits et les potos à Poutine sont pas chiens sur le rab quand il s’agit de s’acheter des armes de haute technologie.

Il nous a fallu quatre jours pour nous retrouver devant le domaine dans lequel Spratzyck s’était installé. Petite structure de recherche, à peine gardée. On a mis deux jours de plus à mettre en place le plan d’infiltration, parce que les renseignements qu’on nous avait fournis n’étaient pas tout à fait complets. La corruption a ses limites…

Il y avait en effet une équipe des services secrets russes, pas prévue, qui surveillaient le lieu de l’extérieur. Et c’est là qu’on a compris un truc, Spratzyck était peut-être pas vraiment prisonnier des russes. Surveillé ou pas, il aurait pu communiquer avec la France à partir d’ici très facilement depuis longtemps. Il y avait des antennes satellites sur le toit, pas mal de gens entraient et sortaient tranquillement du lieu. On s’était peut-être bel et bien fait roulé en Chine, notre équipe avait pu servir de leurre pour que les russes agissent tranquillement.

Étant donné les changements dans les plans, il a fallut réorganiser la procédure de repli et d’exfiltration, mais notre équipe de soutien était au point. Pas de problème de ce côté.

Nous on en avait un par contre, de problème. Parce que, en dehors du fait qu’on faisait plus trop confiance à Spratzyck, on savait qu’il avait mis en place un système de sécurité perso. Et sur ce système là, on ne savait pas grand chose, à part qu’il avait ses « chiens de gardes » comme il les appelait.

Le bonhomme avait pas fait que dans la physique de pointe, il avait aussi fait dans la biologie, la cybernétique, la chimie… c’est chiant ces génies touche-à-tout, on sait jamais à quoi s’attendre avec eux.

Ce qu’on savait sur lui, c’est qu’il avait deux labradors, a qui il avait donné la parole, comme disaient les invités qui les avaient rencontrés. Rien de bien effrayant, les labradors en chien de garde, on fait mieux. Par contre le troisième chien de garde, c’était un « hybride », d’après les propres mots de Spratzyck. Un hybride, ça nous parlait pas beaucoup à nous, et ça inspirait pas la confiance. Le seul truc dont Spratzyck se soit vanté au sujet de ce troisième chien de garde, c’était qu’il pouvait « vous retourner un guerrier sur-entrainé en moins de deux secondes ». Les pros chez nous ont imaginé pleins de trucs sur le sujet, du mix entre un chien et un tigre au mélange homme-chien.

Un homme-chien ? Ca faisait plus fantastique que SF, j’y croyais pas trop. Et puis d’après ce que j’avais lu sur Spratzyck… oui, il était original, mais faire des trucs dans ce genre là, ça lui ressemblait pas, alors je réservais mon avis.

L’important c’est d’être sur ces gardes, ‘s’pas ?

[Science-fiction]

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